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D E P U I S   L ' E N F A N C E

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A propos de mon écriture jeunesse

Un tourterelle

 

Elle est là, devant moi, posée sur l'ordinateur. Elle : c'est une tourterelle. Elle vit en liberté dans mon appartement. L'ordinateur, à cette époque-là ressemble à une petite tour avec un écran. La tourterelle -elle s'appelle Grecki- est posée dessus. Elle me regarde et roucoule. 

Quelque fois, elle se pose sur mon épaule. D'autres, sur ma tête.

Aujourd'hui est un jour très spécial. Pour la première fois, je m'essaie à écrire quelque chose pour les enfants. Une amie m'a demandé d'écrire un texte pour la jeunesse. Ce sera diffusé à la radio, sur France-Culture.

Cela fait beaucoup d'inconnus pour moi. 

Je n'ai jamais écrit pour les enfants. J'écris essentiellement pour les adultes.

Et j'ai peu écrit pour la radio. 

Grecki roucoule, elle se redresse, abaisse son bec et recommence. C'est une façon de me déclarer son amour. 

Elle me fait la cour. 

Bruyamment.

Écrire pour les enfants... Cela me semble difficile. 

Que raconter ? 

Elle roucoule. 

Je dis "elle" mais en fait c'est un mâle. Donc, en fait "il" roucoule, la tourterelle. 

Je ne me suis jamais énervée contre Grecki. Jamais. Même quand il a commencé à déchiqueter mes livres pour construire un nid ou qu'il trépigne sur ma couette parce que je dors trop longtemps.

Mais là... Il m'embrouille, il fait un bruit du tonnerre. 

Comment penser ?

Il lève son bec, l'abaisse, recommence...

Que raconter à des enfants qui vont écouter un texte à la radio? 

A la radio, on ne voit pas. 

On entend. 

Tais-toi s'il te plait, Grecki, chut mon bel oiseau. 

Rien à faire, il roucoule, la tourterelle. 

Que veux-tu ? 

Je l'observe un temps faire ses petites courtoisies. 

Rrrrou rrrou rrrou .... 

Alors je sais. 

J'entends. 

Je souris. 

Je baisse la tête.  

Et commence à écrire.

 

Ce premier texte : La Bielleuse, est né de cet instant de conversation avec Grecki.

Où je n'ai plus pensé.

Merci mon tourterelle.

L'imitateur

 

Mon amour des oiseaux a été ma carte d'entrée en écriture jeunesse. Suite à La Bielleuse, j'ai écrit trois autres textes qui mettent en présence des oiseaux : L'Oca, La Berge Haute et Les Rousses. Tous ont été créés à la radio.

Je me suis réjouie de faire entendre à la radio des chants d'oiseaux. Cela a néanmoins représenté une vraie difficulté lorsqu'il a fallu enregistrer l'émission, car, dans cette série consacrée aux oiseaux, ils sont nombreux et ont un vrai rôle. 

Ils ne parlent pas. 

Ils roucoulent, criaillent, cacardent, caracoulent, gringottent, rossignolent, glatissent, trompettent, quirritent, trillent. Et chantent aussi éventuellement.

Le réalisateur de l'émission radio m'a demandé : Où veux-tu qu'on trouve un acteur qui sache roucouler, criailler, cacarder, caracouler, gringotter, rossignoler, glatir, trompéter, quirriter ? - Et triller !" ai-je songé.

C'est vrai. 

Aucun  professeur de théâtre n'apprend ce genre de choses à ses élèves.

Aucun  professeur de chant n'apprend ce genre de choses à ses élèves.

"Pourquoi ne les as-tu pas fait parler ? Cela aurait été plus simple, non ?"a t'il ajouté. 

Grecki ne parle pas, ai-je pensé.

 

Nous avons donc invité à France Culture un imitateur d'oiseau, venu de la Baie de Somme pour qu'il joue les oiseaux de mes textes. Il a donc roucoulé, criaillé, cacardé, caracoulé, etc pendant plus de 4 heures dans les locaux de France Culture, nous laissant ébaubis. Lorsqu'il repartit en Baie de Somme, il laissa derrière lui un parfum iodé. 

Depuis, je n'ai jamais fait "parler" les animaux dans mes textes avec nos mots d'humains.

Leur langage est si réjouissant, pourquoi le remplacer pas le nôtre ? 

Pourquoi leur prêter nos pensées alors que la plupart du temps nous sommes incapables de les comprendre ?

 

Pourquoi leur ôter leur parole ? 

Courgettes et haricots

 

Enfant, je n'ai jamais aimé qu'on fasse parler les animaux dans les livres. 

Cela m'attristait infiniment. 

Je ne sais pas pourquoi.

Je ne supportais pas qu'on donne des caractères aux animaux. Le renard était rusé, le loup cruel, la pie voleuse. 

Il me semblait qu'on les mettait dans une boîte dont ils ne ressortiraient jamais. 

Allait-on aussi me mettre dans une boîte ? 

 

Plus tard, lorsque je suis devenue écrivain et qu'on m'a demandé de faire "parler" un légume ou un fruit pour écrire un texte qui évoquerait le potager, j'ai été dépitée.

Une tomate ? 

Je n'entendais rien. 

Une pomme ?

Rien.

J'entendais chiens, chats, oiseaux, cochons, je pouvais imiter leur son.

Mais un concombre ?

Alors j'ai inventé une histoire d'homme devenu épouvantail. 

Cela m'a beaucoup amusée. 

Mais, je n'ai pas su faire parler la courge ou le haricot. 

Je ne sais pas faire.

 

Ces petites particularités sont très encombrantes, enfant. 

De ne pas être tout à fait comme les autres. 

De s'ennuyer quand dans un conte l'auteur fait parler le mouton ou l'escargot.

C'est inconfortable.

Et puis ça grandit, ça emplit et ça devient soi. 

Et ça, c'est gai.

Langage 

 

Dans Sissi Pieds jaunes, Lionel, un petit garçon s'est tellement amusé à s'inventer une langue qu'il n'arrive plus à parler correctement. 

Il met des Q à la place des M. Et vice versa. 

A cette époque-là, j'étais très amoureuse, alors dire "M" était d'une grande douceur. 

Lionel s'embrouille, il dit Couche au lieu de Mouche, CaCan au lieu de Maman, c'est une vraie galère pour lui. On se moque de lui, il s'énerve. Il veut Courir. Non Mourir. 

Ce n'est pas drôle du tout.

Jusqu'au moment où il rencontre Sissi Pieds-Jaunes, une grande fille costaud qui ne se laisse pas intimider par sa mauvaise humeur, elle l'attrape par le cou pour qu'il se calme un peu et qu'il lui explique ce qui ne va pas.

Sissi est assez physique comme fille. Pour se faire comprendre elle a une langue bien à elle. Elle ne parle pas, elle n'entend rien. Elle lit sur les lèvres et possède une langue : la langue des signes. 

Lionel, le dyslexique et Sissi, l'enfant sourde et muette, finissent par se comprendre.

 

A cette époque-là, je me suis dit que c'était audacieux de mettre en scène une fille sourde et muette qui a des milliers de choses à dire face à un Lionel qui s'empêtre dans les mots. On n'allait rien momprendre ! Pardon, comprendre ! Mais, vu le désarroi de Lionel il me fallait un miracle. Il m'a été donné par Sissi, sa joie et sa puissance de cœur. 

J'aurai adoré avoir une amie comme elle à l'école.

Elle m'a obligée à lire des livres et à rencontrer des gens pour essayer de me familiariser avec la langue des signes, ce langage inconnu de la plupart d'entre nous. 

 

Peu importe qu'on ne parle pas la même langue.

Car les mots arrivent presqu'en dernier dans une vraie rencontre. 

La Moroue

 

Ma grand-mère maternelle, Maria Bambi, que je n'ai jamais connue, ne savait pas prononcer les U. En italien, le U n'existe pas, seul le OU existe. Elle disait de la Moroue, lorsqu'elle devait acheter ce poisson, la morue, pour faire un plat typiquement génois, ville dont elle était issue. (Issoue) Ma mère m'a raconté que beaucoup de gens se moquaient de ma grand-mère et de son accent. Probablement est-ce pour cela que ma mère aimait tant mélanger les mots -comme Lionel-. 

Elle avait des fantaisies de langage. 

Elle était comme effrontée avec la langue. 

Être effrontée avec la langue, c'est déjà commencer à poétiser. 

Car alors s'ouvrent en grand les portes de l'imaginaire.

 

Mon père né en Italie, comme ma mère et tous mes aïeux, avait aussi ses bizarreries de langage. Il disait "esdragon" au lieu de "estragon" par exemple, pour nommer cette herbe aromatique. Le soleil inondait ses phrases lorsqu'il me lisait des histoires. Et, même si il était mal à l'aise avec l'écriture, il contait merveilleusement avec ses yeux, ses rires, ses silences, ses ouragans et ses tendresses. Ses montagnes et ses lacs de forêt.

 

C'est dans ce grand cahier de vocabulaire inventé et de syntaxe bousculée que je suis née. 

M'y ébrouant comme un jeune chiot en liberté. 

Faisant trésor, jouet, joyau de chaque mot nouveau-né. 

Les gros mots 

 

Il m'a fallu beaucoup de temps pour accepter d'écrire de la parole. 

C'est assez difficile d'écrire de la parole. 

On n'y est pas obligé, lorsqu'on écrit du théâtre. Pas du tout. 

La merveilleuse poésie peut prendre le relai de tout.

Mais un moment, j'ai eu envie d'écrire de la parole.

Je voulais qu'on ressente l'état de quelqu'un juste au travers de ses mots. 

Je voulais que chacun des personnages ait son propre langage.

Je rêvais d'une oralité solaire ou ombrageuse.

Écrire différemment. Une phrase courte ou une phrase longue pour faire entendre telle ou telle émotion ?

S'interroger sur les points, les virgules, les retours à la ligne, les temps, les élisions. 

Peut-on écrire " J'te donne " et que ce soit joli ? 

Doit-on écrire joli ? 

Cela a été une grande réflexion.

Écrit-on du théâtre pour qu'il soit lu ou entendu ? 

Cela a été une grande question.

Peut-on mettre des mots familiers ? 

 

Quelques fois, les enfants me disent : " Il y a des gros mots dans tes textes !". 

Je ne crois pas. Ou alors, quand je me relis, ils se cachent vite fait derrière un autre mot...

 

J'ai écrit une scène d'injures entre Nina et Ben, deux enfants que tout oppose dans Mon frère, ma princesse. Des injures si terribles qu'elle laisse l'un d'entre eux muet et désarmé.

 

Parce que les mots ont un pouvoir inégalé.

Imagination

 

Souvent les enfants me posent des questions auxquelles ils ont toutes les réponses.

Par exemple, on me demande souvent : "D'où vient l'imagination?". 

Certains disent qu'ils n'ont pas d'imagination.

Des adultes aussi, pensent qu'ils n'ont pas d'imagination. A cela, moi je réponds : " Je ne vous crois pas, car moi, je la vois votre imagination ". 

Alors, on les voit regarder en l'air, autour d'eux, se demandant à quoi peut bien ressembler leur imagination et pourquoi elle est sortie de leur tête. 

Tous les enfants peuvent répondre à "D'où vient l'imagination ?".  Ils savent que l'imagination nait d'eux, de leur vie, de leurs souvenirs, de ce qu'ils lisent, voient, de leurs rêveries, de leurs sentiments, de leurs convictions etc...

Tous savent cela. 

Mais certains croient qu'ils ont échappé à ça : l'imagination. Cela les chagrine infiniment. 

Pourtant, elle est là, leur imagination. Tapie dans un coin. Elle roupille en attendant de voir le jour. 

Ou pas.

Car rien n'oblige à s'en servir devant les autres. 

Rien n'oblige à la montrer, à l'utiliser.

C'est un territoire secret. Une conversation avec soi-même. 

Quand on bougonne en dedans de soi, c'est déjà écrire.

Quand on parle à son doudou, c'est faire du dialogue. 

Quand on ne dit rien et qu'on ressent tout, c'est poétiser. 

 

Les mots viennent pour nous aider, nous servir, rendre visible l'Invisible. Notre invisible.

Mais cet invisible-là, on a le droit de se le garder. 

Les mots incompréhensibles

 

Enfant, j'étais nulle pour les mathématiques. Absolument désespérante - et désespérée. Mais les mots qui figuraient en mathématiques ou géométrie, étaient des régals pour moi. Axiome, décimal, algorithmes, asymptote...  Ils dessinaient de grandes arabesques dans ma tête, ondulant comme fées ou sorcières en cavale. Lorsque le professeur me demandait "Alors, Catherine, l'asymptote, hum ?" Je dégringolais vite fait de ma rêverie, les yeux pleins d'une lumière lointaine, et je bredouillais un misérable : "Oui, euh, je...je...je..." qui me laissait au bord de l'apoplexie. 

De la honte et de la confusion.

Mais qu'importe puisque j'avais galipetté dans un firmament doré. 

 

Ne jamais avoir peur des mots inconnus, imprononçables, se nicher au milieu, comme sous une couette ou sous la table, s'enrouler dedans, renifler, faire merveille de la poussière, graboter le mot, l'éplucher, le secouer, voir si il sent bon, l'écouter, et puis il finira par raconter un truc incroyable. Il est possible que cela n'ait rien à voir avec la réalité. Ce qu'on appelle le sens. Peu importe, il sera devenu un ami parce qu'il vous aura emmené sur un chemin inconnu très personnel et qu'avec lui, lorsque vous saurez l'utiliser, vous aurez déjà vécu un enchantement. 

Il ne vous trahira pas.

Une vie extraordinaire

 

Les enfants me posent parfois des questions auxquelles je n'ai pas du tout envie de répondre. 

Si je suis mariée. 

Quel âge j'ai. 

Si j'ai des enfants. 

Combien je gagne. 

Si je suis passée à la télévision. 

Est-ce qu'on m'arrête dans la rue pour me demander des orthographes. (Sic)

Je réponds que notre vie à nous, écrivains, n'est pas si différente de celle de leurs parents et qu'il n'y a rien à en dire de particulier. Mais je suppose que, lorsqu'on rencontre un écrivain, on imagine (même si on n'a pas d'imagination) qu'il a une vie extraordinaire.

Elle l'est, extraordinaire, parce que la vie est extraordinaire.

Elle l'est aussi parce qu'on a osé écrire. 

Mais avait-on le choix ? 

Écrire, cela s'impose dans une vie. 

Car lorsqu'on écrit on travaille beaucoup beaucoup beaucoup on écrit on rature on efface on recommence on est agité on relit on s'énerve c'est trop long on pleure réécrire on est essoufflé on est perdu on relit on ne sait pas où on va on recommence on rit c'est pas mal ? non ça ne veut rien dire ce personnage qu'est-ce qu'il fait là ? le titre est ridicule on a chaud on tremble on ne veut voir personne on est grognon on ne dort plus on mange mal on est tout tordu dans le corps on ne se lave plus quel jour on est? on rate les trains on se casse la figure en vélo nos amis nous fuient on est désagréable on écrit et arrivé à la fin on change le début il faut tout recommencer...

 

Une vie extraordinaire ? 

Peur d'enfant 

 

Les enfants posent parfois des questions auxquelles il faut répondre.  

Un jour, une fillette m'a demandé :

- Tu es mariée ? 

- Non", ai-je répondu. 

Elle a eu l'air déçue. 

D'autres enfants posaient des questions. Elle relève courageusement la main : 

- Tu as des enfants ?  

- Non." 

Je n'avais pas envie de m'étendre sur ma vie privée, qu'est-ce que cela a à voir avec l'écriture ? 

Elle insiste :

- Tu n'as pas d'enfants ? 

- Non. "

D'autres enfants m'interrogent. Du coin de l'œil, je vois cette petite fille immobile, transie, attristée. Elle relève à nouveau sa main et elle me souffle, apeurée:

- Tu n'as pas de mari, pas d'enfant..." elle hésite :

- Ça veut dire que tu es... toute... seule ? "

Ce mot sort de sa bouche comme une écharde. Si je dis oui, elle va pleurer. Et m'offrir sa famille, sa tendresse, son doudou, sa maîtresse... Tout, quoi.

Je la console : 

- Non je ne suis pas toute seule. Je n'ai pas de mari, je n'ai pas d'enfant, mais j'ai un grand amour et je suis très heureuse."

Son visage s'éclaire, elle me sourit comme seule une enfant de six ans sait le faire. 

- Et puis nous on est là " dit-elle en conclusion. 

Là, c'est moi qui vais pleurer.

Heureusement un petit garçon se tourne vers elle et lui chuchote bruyamment: " Ah tu vois, je te l'avais bien dit qu'on peut être amoureux sans être mariés !". 

 

Qu'est-ce que cela a à voir avec l'écriture ?

L'invisible

 

Dans la maison de l'ogre Monsieur a été un texte majeur pour moi, cependant il ne sera peut-être jamais mis en scène parce qu'il est le plus difficile à représenter. C'est aussi le plus personnel de mes textes.

Dans ce récit, une enfant Larida est aussi une femme âgée. On la voit à deux époques de sa vie. 

Déjà, ça, c'est compliqué.

Il y a Robert, un enfant mortus qui la guide. 

Les morts qui parlent, les adultes adorent ça, mais ils pensent souvent que ça fait peur aux enfants. 

Ils ont un peu tort, car, souvent les enfants ont de grandes conversations avec leurs aïeux disparus. Mais : chut !

Il y a une mère à l'hôpital, dans le pays du coma.

Et ça, ça fait drôlement peur. Aux grands et aux petits.

Larida est pleine de craintes, cependant elle trouve un force en elle, une force venue de la mystérieuse magie de la littérature, une force qui l'ouvre à l'invisible, son invisible à elle. 

Elle voyage tant avec le récit que lui raconte l'Ogre Monsieur qu'elle s'emmène elle-même en voyage. 

Car on voyage lorsqu’écrit. On voyage très loin, dans le temps, dans des terres inconnues où rien n'est impossible. 

Le voyage de Larida la dépose auprès de sa mère qui est dans le pays du coma d'où, dit-on, on ne revient pas toujours. 

Et elle la ramène. 

 

Cette histoire incroyable est le plus vrai de mes récits. 

Je ne sais pas si j'ai ramené ma mère d'un coma si long qu'on a cru qu'elle allait n'en jamais revenir. 

Mais je sais que c'est à ce moment-là, autour de mes trois ou quatre ans, imitant les contes qui m'étaient offerts, que j'ai commencé à inventer des histoires imaginaires et à fabriquer des hypothèses merveilleuses. 

Et magiques. 

A écrire.

Ogres et ogresses

 

Dans ce texte " Dans la maison de l'Ogre Monsieur ", il y a un ogre maladroit qui essaie de consoler Larida, cette petite fille qui ne veut qu'une chose : qu'on lui rende sa mère et qu'on la laisse retourner chez elle.

Donc, l'Ogre est un ogre parce qu'il n'est ni sa mère, ni son père, ni rien de ce qu'elle veut aimer.

Elle l'appelle : Ogre, mais en fait ce n'en est pas un. 

 

D'ordinaire, les Ogres sont beaucoup plus voraces. Il y a plein d'ogres et d'ogresses prêts à vous ratatiner. 

Mais une phrase peut les réduire en bouillie. 

Je vous le jure, j'ai essayé : ça marche.

 

Écrivez, vous verrez.

Écrire

 

Il y a l'écriture, celle qu'on apprend à l'école, règles compliquées, mots savants, grammaire, orthographe, conjugaisons, toutes ces matières molles qui font penser certains jours aux épinards mal cuits et qu'il faut ingurgiter pour se faire comprendre des autres quand on a envie ou qu'on doit leur écrire.

Ça, on n'y échappe pas. 

Quelques fois on peut vraiment s'amuser avec cet apprentissage. 

En tout cas, on finira par savoir écrire.

On apprend à écrire joliment, à ne pas faire de fautes, faire des phrases qui ont du sens et qui, peut-être, vont faire de nous un écrivain un jour.

C'est pas mal. Franchement, c'est pas mal.

 

Il y a aussi l'autre écriture. 

Qui fera aussi de soi écrivain un jour si on le veut.

Celle qui ne s'embarrasse de rien celle qui est en dedans celle qui vous chuchote des choses la nuit ou lorsque vous êtes assis en classe et qu'un chat passe dans la cour

celle-là urgente irrépressible

que vous entendez

celle-là a peu de règles

elle jaillit comme une source

elle - c'est à dire vous

elle s'en moque de l'orthographe la grammaire les conjugaisons et les effets de style

elle est au creux de la poitrine

dans les poignets

au milieu du front 

elle frémit hurle vitupère 

cascade de rire et de lumière

elle accroche des sons des rocs des rivières

elle n'a rien à voir avec rien de ce que vous connaissez

alors celle-là 

impétueuse sauvage fragile frémissante

il faut la recueillir comme un oiseau blessé

car c'est votre oiseau blessé

il faut en prendre soin

il faut ouvrir son cœur et 

écrire

sur un bout de papier froissé ou joliment dans son cahier

sur le sable ou en silence

sur un coin du mur à l'ordinateur ou sur les nuages

se taire si on veut

écrire comme on parle comme on entend comme on a envie de lire des histoires

et rien

ni personne ne peut dire quoi que ce soit de cette écriture-là même si il y a mille fautes que les mots sont mal formés et les phrases tordues et qu'on y comprend rien et qu'on ne sera jamais un écrivain.

 

Parce qu'en définitive, c'est cela écrire.

Le théâtre

 

Écrire du théâtre, c'est offrir une fête. Une sorte de cérémonie sans le C majuscule. Lorsqu'on va au théâtre, on quitte sa maison, son écran, son terrain de jeu pour assister à un spectacle. Peut-être que ça parlera du monde. On s'y reconnaitra. Ou pas. On ne connait parfois personne dans la salle, pourtant, on y est bien, ensemble. Un peu comme dans une grande maison accueillante. En tout cas, il devrait en être ainsi. Parfois, ce que l'on voit, c'est mal dit, mal fabriqué, on n'est pas d'accord, ça énerve, on n'a rien compris. Alors on en parle avec les autres. On est transporté, on rit, on pleure, on frappe des mains. Ça peut nous mettre dans des états terribles, ce truc, le théâtre. Il y a des acteurs, une équipe, plein de gens qui ont participés au spectacle, c'est vivant. 

Il arrive même qu'on oublie qu'il y a eu un auteur.

 

J'écris seule. 

Mais c'est pour qu'une communauté s'en empare et crée du rassemblement. Parce que je pense profondément que l'Homme a besoin de s'assembler pour se tenir chaud, débattre et résoudre ses problèmes sans se cogner dessus. 

C'est précieux et rare une assemblée.

Les Hugands 

 

Je ne peux pas ne pas évoquer Les Hugands, l'endroit où j'ai vécu mon enfance. Mon théâtre de l'enfance. Deux barres d'immeubles de quatre étages, des HLM, qui encadraient deux cours. Il y avait aussi des caves, où nous n'avions pas le droit d'aller et nous y étions tout le temps pour faire des tas de trucs que les enfants adorent. 

J'étais une enfant très timide mais j'avais néanmoins inventé un jeu avec mes amies les plus audacieuses. Nous en avions assez que les garçons prennent toute la place et toute la gloire dans nos cours. Alors, nous avons décidé de nous donner des missions secrètes : sauver des gens et même : sauver le monde. Nous nous sommes donc mises à courir l'air mystérieux, d'une cour à l'autre. Personne ne comprenait rien à ce que nous fabriquions. 

Surtout pas les garçons.

Nous montions sur les bancs, hurlions dans les caves, chassions les méchants, consolions des enfants, arrachions de faibles gens à des destins effroyables, les pauvres devenaient riches et les riches devenaient généreux. Nous nous appelions "Les Championnes", mais à part nous trois, Carmela, Christiane et moi, personne n'était au courant. 

Surtout pas les garçons.

Aux Hugands, il y avait des Espagnols, des Italiens du Sud et des Italiens du Nord, des femmes divorcées, des militaires de passage. Il y avait des gens très modestes et d'autres plutôt aisés, des gens bruyants et d'autres isolés. 

Nous nous connaissions à peu près tous. 

J'ai vu la cour rétrécir au fur et à mesure que je devenais grande. 

Sur les bancs nouvellement installés, j'ai eu mes premières conversations avec Bartolo qui deux ans auparavant était mon pire ennemi.

J'ai eu d'immenses amours, Christiane balafrée d'une griffure de maternelle, Frédérique et ses couettes impayables, Hervé le timide qui habitait la grande maison cossue en face de mon HLM. Je n'ai jamais avoué mon immense amour d'enfant à aucun d'entre eux.

 

Nous sommes partis des Hugands parce que mon père ne supportait plus les voisins du dessus. Ils étaient 13 sur nos têtes à vivre dans un 3 pièces. Nos deux familles en vinrent aux mains.

L'ingérable voisinage marqua la fin de l'enfance.

 

Les Hugands est ce lieu qui se rappelle à moi, toujours. 

L'enfance et les lieux de l'enfance, c'est quand même là où tout commence à s'écrire, que l'on sache assembler les mots ou pas, qu'on préfère la mécanique à l'écriture, les jeux vidéo aux livres, qu'on soit paresseux ou non, ensoleillé ou ténébreux. 

Qu'on vive en HLM m ou en maison dorée.

Qu'on soit championne ou effacée.

La colère

 

Les raisons d'être en colère sont infiniment nombreuses lorsqu'on est enfant. Je le sais, je l'étais souvent. Les frères et sœurs font des coups pendables. Maman veut couper des boucles trop rebelles. Papa n'écoute rien de ce qu'on lui dit. La maîtresse est injuste en punissant Isabelle alors que c'était Martine qui est la responsable du fait que le lapin s'est échappé de la classe. On se moque de Muriel dont les parents sont au chômage. Les garçons sont violents. Si il y en a un de très très doux il est injurié. Une fille folle de foot est montrée du doigt. La télévision nous montre des guerres affreuses. Beaucoup n'aime pas les gens jaunes, les gens noirs, les gens marrons, ceux qui ont un accent, ils ne sont pas comme nous, - mais c'est quoi "nous" ? - Si deux filles s'embrassent c'est sale et si deux garçons s'embrassent, il faut les enfermer dans un hôpital pour qu'ils redeviennent normaux, -c'est quoi "normaux"? C'est heureusement interdit de battre son chien mais en classe on ouvre des ventres de grenouille....

J'étais en colère en silence, je ne le disais pas parce que je croyais que j'allais être "pas normaux" si je le montrais. Jusqu'au jour où j'ai compris que c'était vivifiant d'être en colère, cela me donnait de quoi écrire, de quoi dire, de quoi devenir quelqu'un.

Être en colère ce n'est pas avoir de la haine. La haine est notre pire ennemi que l'on soit grand ou petit. Tandis que la colère est apprivoisable.

 

C'est pour cela que j'ai eu tant de plaisir à écrire Œil pour Œil avec Jean Philippe Ibos. Je m'en suis donné à cœur joie de raconter des colères d'enfants. Surtout celles de petites filles à qui il n'est jamais permis d'être en colère et de hurler. 

Fille : il faut être douce et tout encaisser. 

 

La colère est l'une de mes encres d'écriture. 

La plus riche, la plus belle. 

Parce qu'elle me sauve de l'indifférence.

Être plusieurs

 

Lorsqu'on écrit du théâtre, en fait, on est un peu plusieurs dans sa tête.

Surtout lorsqu'on écrit des histoires où il y a plein de personnages.

Les personnages, cela m'aide beaucoup à écrire mes récits. 

Ils viennent, un par un, ils me chuchotent leur vie, leur problème, leurs exaltations et je me dis : "Tiens celui-là il va me servir à raconter telle ou telle histoire.". 

Ensuite, il ne me quitte plus, le personnage, il ne me lâche plus jusqu'à ce qu'il ait vidé son sac.

Mes personnages sont souvent très bavards et l'une de mes préoccupations c'est de leur dire de se taire parce que je n'en dors plus et que ma pièce va finir par faire trois heures, on n'y comprendra plus rien et, surtout, on va s'ennuyer

Un grand Monsieur de théâtre, Peter Brook, a dit : Le Diable c'est l'ennui. 

Je le crois.

Ils sont donc là, les personnages, ils trépignent, ils veulent dire ceci ou cela et surtout, ils ne sont pas toujours d'accord.

L'un a telle version des faits et l'autre telle autre.

J'ai mon opinion, évidemment, mais quand même : je suis touchée par l'un et l'autre. 

Je veux les faire entendre, tous les deux. Tous les trois si ils sont trois. Si ils sont vingt aussi. Ça prend du temps.

Ils parlent. 

Et moi, je prends parole pour eux. 

Même si je ne suis pas d'accord avec eux. 

Même si dans la vraie vie ils m'énerveraient, j'écris pour eux.

Même si c'est mon pire ennemi, je le fais parler. 

C'est très difficile d'écrire "Je" quand on fait parler une brute qu'on ne fréquenterait pas dans la vraie vie.

 

Mais c'est magique parce qu'alors on comprend mieux sa brutalité et surtout, dans notre écrit, on peut lui donner un autre destin.

Depuis l'enfance

 

Lorsque Grecki ma tourterelle m'a soufflé mes premiers mots pour les enfants, j'ai cessé de penser que j'écrivais pour les enfants. 

Il m'est apparu que la formule la plus juste était de dire que j'écrivais depuis l'enfance.

Rien à voir avec le fait d'écrire pour les adultes. 

 

L'écriture jeunesse cela commence souvent par un temps de long silence intérieur. Ce qui revient, ce sont les échos de ma propre enfance. Je me demande : Quelle réponse m'a manquée, enfant, et à quelle question ?

Cela passe aussi par un temps d'écoute des enfants d'aujourd'hui. 

Je vais dans les classes, je les interviewe, je fais la curieuse. 

Ensuite, tout s'assemble. Pour évoquer ce territoire, où tout est en mouvement, en découverte, où tout est définitivement possible et prêt à éclore dans des formes parfois inimaginables pour l'adulte.

 

Il y a de quoi être émerveillé par l'enfant. 

Mais, lui, l'enfant, il n'en a rien à faire de notre émerveillement.

 

C'est cela, pour moi, écrire depuis l'enfance.

C'est être émerveillée et l'oublier pour n'en garder qu'un parfum lointain. Afin d'être celle qui attend du haut de ses sept ou dix ans des réponses, des chemins, des clartés. 

De la rêverie pleine de colères et d'apaisements.

Oser

 

Lorsque j'ai écrit Mon frère, ma princesse, j'ai cru que ce texte ne serait jamais mis en scène. 

Je trouvais que c'était culotté de vouloir écrire l'histoire d'un petit garçon qui ne veut pas être un garçon mais une fille.

Il ne veut vraiment pas.

Est-ce que là je n'allais pas tout embrouiller? Fille/garçon/le genre/le masculin/le féminin... Des parents seraient fâchés, des professeurs me bouderaient, des bibliothécaires oublieraient le livre. 

Je n'étais sûre de rien. 

En plus, à cause d'Alyan, ce petit garçon si malheureux et si différent, des évènements féroces et injustes arrivent. 

En plus, à la fin, c'est vraiment trop bizarre. (Je ne peux pas le raconter sinon ça abimera le suspense)

J'ai eu peur en l'écrivant. 

J'étais en colère comme d'habitude. 

Alors : j'ai osé.

 

Plus tard, avec mon éditrice, nous nous sommes dit : Tant pis, si il n'est pas joué, au moins, il sera lu.

On a essayé de faire un beau livre. On l'a lu et relu cent fois afin que rien ne nous échappe. 

Surtout pas la poésie. 

Ni le sens.

 

Ce texte a été très remarqué. Il a bouleversé, agité, enthousiasmé. Et fait l'objet d'un magnifique spectacle lorsqu'il a été mis en scène pour la première fois.

Je m'étais donc trompée. J'avais osé ouvrir une porte. 

Derrière, une tribu m'attendait bras ouvert. Parents, instituteurs, bibliothécaires, ami(e)s. Et, au milieu, une multitude d'enfants avisés et comblés.

Qui n'ont pas cessé de me poser des questions.

 

Est-ce que tu as beaucoup pleuré quand tu as écrit ce livre ?

Est-ce qu'on peut vraiment compter sur ton livre ?

Et pour finir

 

Je ne sais pas au juste pourquoi j'écris pour les enfants. 

Mais je ne peux plus faire autrement. 

Cela a pris une place singulière dans ma vie. 

C'est un rendez-vous rare avec le plus clair et le plus audacieux de moi-même.

Avec le plus sauvage et le plus insolent. 

Le plus généreux et le plus rusé.

L'enfance est un paysage connu et à réinventer

Qui me bouleverse rien que d'en parler. 

Alors, il faut se taire. 

Écouter et 

Écrire.

 

Fin de journée, je quitte une classe. Une petite fille met, avec un soin infini, l'un de mes livres dans le casier de son bureau.  Comme si elle bordait un enfant. Elle me voit la regarder. Alors elle me chuchote : "Je le laisse là, ton livre, parce qu'à la maison, il y trop de bruit. Il n'aime pas."

L'aveu empêtré

Petit exercice pour écrire de vraies choses fausses

 

 

Vous imaginez un personnage qui n'est pas vous, pas vous du tout. Vous vous l'imaginez vraiment. Vous savez presque tout de lui, comme ça, en trois minutes. Hop. Il pourrait exister dans le vrai monde, mais vous ne le connaissez pas. Il doit être imaginaire. Vous l'aimez, ou pas. En tout cas, ce personnage, vous êtes son auteur. Grâce à vous il va parler, avec ses mots à lui. Vous lui donnez un prénom, même si ce prénom changera plus tard.

 

Donc : il est là, votre personnage. Alors on imagine qu'il a vraiment envie de dire quelque chose, comme un secret, il veut vraiment le dire, ici et maintenant, c'est urgent, parce que si il ou elle ne le dit pas, la vie va être compliquée. Il doit le dire. C'est une question de vie ou de mort, il faut qu'il vienne dire ce qu'il a à dire c'est plus important que tout, pour lui, donc, pour vous. Du coup, il est dans un grand état. Il a peur ou il est excité, énervé, désespéré, hilare, inquiet, il n'y a que vous qui le sachiez. Mais il est dans un état tout à fait particulier, hors du commun. Vous aussi. Vous savez ce qu'il veut nous dire. Précisément. 

 

Alors, c'est là que les consignes arrivent. Vous êtes prêts?

Dans ce texte il doit y avoir : ( dans n'importe quel ordre )

- Trois mots inconnus de vous, dont vous ne savez pas le sens.

- Trois mots inventés par vous, qui ont un sens précis pour vous et le personnage, mais le lecteur ne sait pas au juste ce que ça veut dire.

- Le personnage doit dire au moins une fois une chose et son contraire, peut-être dans la même phrase.

- Il y a beaucoup de point de suspensions parce qu'il a des trous dans la pensée.

- Il y a un mot qu'il n'arrive pas à prononcer. Lorsqu'il veut le dire, ça se passe mal.

- Il commence une phrase par la fin.

- Il doit y avoir deux phrases arrêtées en plein milieu.

- Il se mélange des mots. 

 

Bien sûr, il est possible qu'on ne comprenne rien, que le secret reste secret et qu'on rit beaucoup en écoutant. C'est un peu fait exprès. Ou alors, c'est trop compliqué à faire, ça énerve pour de vrai. Et on pense alors que les écrivains sont un peu fous de proposer de genre d'exercices. 

Heureusement qu'ils ne font pas la classe !

Larronville 

2018/2020

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